Franà§ois-Charles écrit de Chamant, près de Senlis, à son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu habitant au Canada. Il lui parle du plaisir qu’il a à lui écrire annuellement. Il répond ensuite à une question de son frère à propos de l’entente entre la France et le gouvernement de St-Domingue. Franà§ois-Charles lui apprend son deuxième mariage avec une dame pas plus riche que lui mais bonne compagne.
Activités économiques, organisation sociale, réalités politiques
à€ Chamant près Senlis, ce 21 mars 1828.
C’est toujours avec le màªme plaisir, mon cher fràªre, que je vous
renouvelle chaque année l’inviolable amitié que non seulement
la nature a d໠m’inspirer pour vous; mais encore vos aimables
procédés à mon egard. Puis-je méconnaitre à la célérité que
vous mettez à me répondre, cet intéràªt fraternel qui ajoute un
prix infini à notre correspondance. Croyez bien aussi, mon ami,
que le moment de l’année le plus agréable pour mon à¢me,
est celui o๠je puis rompre le cruel silence auquel le sort nous
réduit pendant douze éternels mois[1]. Tout ce qui peut avoir
trait à vous, mon cher frère, m’étant personnel; souvent je me
suis occuppé de vos inquiétudes paternelles; je me
flattais, il est vrai, d’après votre derniere lettre, que puisque
vous étiez plus satisfait de la conduite de votre fils[2]; que la
sage providence mettrait son sceau à votre parfaite satis-
faction. Ai-je bien présumé? Oh, oui, je le crois! Le ciel
doit bénir un bon pere!
Je ne vous ai point parlé (me dites vous) de l’arrangement
que le gouvernement de St Domingue a conclà» avec celui
de France. Hébien celui cy renonce à tous ses droits sur cette
colonie, pour une somme de cent cinquante milions, payables
en cinq années[3]. Cette renonciation est en faveur des
anciens habitans de cette à®le; cependant cet acte, tout
humain qu’il soit, sera pour les vieillards, ce que nous appellons
de la moutarde après dà®ner[4]: mais la faute n’en n’est
qu’à l’ordre des tems, pourquoi sont-ils venus trop tà´t
dans ce monde? Les prétendants à cette somme sont
tellement nombreux, que s’ils obtiennent du pain, toujours
est-il vrai de dire, qu’ils le mangeront bien sec, puisqu’il
n’est question que du dixieme[5]. Quant à moi, n’ayant aucune
preuve à produire sur la mort de mon fils; je ne pourrai
point disposer de ce qui peut me revenir sur sa part, a moins
d’offrir une caution[6]; chose qui m’est impossible. Cependant
il est probable que j’obtienne l’usufruit de l’intéràªt du
capital[7]; ce qui, comme vous voyez, n’empàªchera pas
la misère de faire sentinelle à ma porte.
Je viens, mon ami, de vous donner une belle sÅ“ur, et à moi,
la consolation de ma vieillesse. Je connais depuis quarante ans
cette personne qui est à¢gée de cinquante sept ans, et j’aurais
depuis des années, uni mon sort au sien; si elle eut été libre[8].
Une amitié qui ne s’est jamais démentie puisqu’elle était
fondée sur une convenance réciproque de caractère, ne pouvait
que m’aider à terminer moins malheureusement une vie
qui, à l’à¢ge o๠je suis, eut, été livrée au froid intéràªt des
étrangers. Du moins a présent, si la providence m’accorde
quelques jours; j’espére les couler auprès d’un àªtre aussi aimable
que sensible, et puisqu’il faut finir, eh bien! sa main
amie, fermera ma paupiere.
Notre éxistence à l’egard de la fortune, ne sera pas plus heureuse
puisque ma femme, ayant tout perdu dans la révolution;
il ne lui reste qu’une pension de mille francs que Louis
Quinze qui, fut son parrain, lui accorda à cette époque[9].
Cependant, ainsi que moi, elle a quelqu’espoir sur les
indemnités de St Domingue[10]. Mais quand se
réalisera-t-il?
Veuillez, mon cher frère, partager à toute votre famille
nos sentimens pour elle, et n’allez pas surtout, vous oublier
lorsque vous y avez tant de droits!
Adieu, mon ami, je suis et serai toujours pour vous,
le plus attaché de tous les frères.
Le Cte de Beaujeu.
P.S. Parlez de moi, à notre
bonne sœur Beaujette.
J’ai reà§u de Monsieur Hart Logan[11], la somme de
soixante cinq livres, neuf schellings et un sou sterling.
J’ai toujours à me féliciter de son aimable
éxactitude.
P03/A.265, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le
dédommager les anciens colons. Renégociée en 1838 à 90 millions, cette dette d'indépendance a été entièrement honorée par versements successifs jusqu'en 1883.