Franà§ois-Charles écrit de Senlis à son frère Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu habitant au Canada. Il a reà§u de l’argent et remercie son frère mais ajoute àªtre au prise avec des dettes difficiles à payer et obsédé par ses créanciers. Il regrette de ne pas avoir émigré au Canada au vu de la situation qui n’a pas évolué à St-Domingue. Il dépeint la situation en Europe d’une faà§on désespérée. Enfin il termine avec la description des armes de la famille de Beaujeu sur le cachet qu’il utilise pour sceller ses lettres.
Activités économiques, organisation sociale, réalités politiques
Senlis ce 1r avril 1821.
Mon cher frère, j’ai reà§u de Mr Hart Logan[1] la somme de deux mille
cinq cent francs, argent de France, produit, sans doute, £ 110 d’Halifax
que vous mandez m’envoyer par la voie de ce négociant.
Je vous renouvelle, mon ami, mes sincères remercimens de vos
fraternels secours qui, tout en méritant, chaque année, ma vive
reconnaissance; ne peuvent encore m’affranchir de quatre mille francs
de dettes, que le pillage que j’eprouvai à la seconde rentrée des
alliés en France[2]; m’avait contraint de contracter, me trouvant alors,
dans un dénuement total de toutes choses. Si vous n’étiez pas
mon frère ( et j’aime à le penser le meilleur des frères ) vous pourriez
me dire, que serait-ce donc si je ne vous envoyais que les douze
cent francs qui vous sont dà»s? Sans doute, mon ami, je bénis
chaque jour la main fraternelle qui s’oppose avec autant de
générosité à mon affreuse misère; sans doute il serait peu délicat
à moi, de vous parler de ma position, s’il me restait le moindre
moyen d’absorber la fatalle dette en question; mais la providence
à concentré, toutes mes ressources dans votre à¢me, et c’est aussi
avec confiance que je m’y adresse. Oui, mon ami, je suis chaque
jour obsédé par des créanciers auxquels depuis cinq ans,
je n’ai p໠donner que deux mille francs, en me privant
màªme du prémier nécessaire[3]. Vous n’avez point d’idée de ce
qu’il en coute dans ce paà¯s, non pas seulement pour paraitre[4];
mais màªme pour ne pas inspirer la pitié.
Pourquoi, mon ami, n’ai-je pas prévu, il y a des années, que
toutes mes espérances n’étaient qu’illusoires! Je serais auprès
de vous depuis longtems, et gouterais aujourd’huy la douce satisfaction
de terminer ma carrière dans le sein fraternel, tandis que bien
loin de ce bonheur, je cours d’abyme en abyme depuis cette époque,
et n’apperà§ois d’autres termes à ce funeste sort, que celui du tombeau.
Oui, mon cher frere, mes regrets sont trop tardifs; je sens qu’il
n’est plus à mon pouvoir d’exécuter maintenant l’aimable
et consolant projet de me réunir à vous; ma santé faiblit de
jour en jour; je viens d’éprouver cet hyver, une longue maladie
dont je suis a peine convalescent : les chagrins, mon ami, ont
avancé mes jours, malgré cependant toute l’opposition que mon
courage a pà» leur offrir.
L’Europe ( du moins je le crains ) est au moment d’une
subversion totale. La manie des nouvelles constitutions gagne
tous les peuples; l’Espagne, Naples, le Piemont, déjà sont en
feu et cet incendie menace évidemment toute l’Italie. La
Russie, la Prusse, l’Allemagne, vont unir leurs forces contre les
progrès d’un tel fléau; mais Dieu seul sait le succès d’une
semblable entreprise! L’Angleterre, la France paraissent garder
la neutralité, mais je crains tout pour cette dernière puissance
si active depuis des années, à propager en tous lieux son
systàªme révolutionnaire[5]. Vous ne pouvez vous faire une idée,
de la démoralisation de ce paà¯s, les factions, les assassinats, les
suicides, sont aujourd’huy les successeurs des vertus de nos pères.
Croiriez vous que dans les colèges màªme, l’indiscipline est à son
comble; que depuis peu, un enfant de six à sept ans, s’est
suicidé. à‚, mon ami, malgré la joie indicible que j’éprouverais
à vous serrer dans mes bras, ainsi que mon cher neveu; je lui
porte un sentiment trop paternel, pour ne pas vous engager
de toutes les forces de mon à¢me, à le laisser encore quelques années
se fortifier dans les sages principes qui, sans doute, lui seront
prodigués, dans le colège o๠vous me mandez l’avoir placé[6].
Dailleurs, mon ami, qu’a-t-il besoin de talens brillants? Que
servent-ils au bonheur de la vie? Souvent ils le détruisent!
L’humble vertu toujours éxempte d’ambition, est la seule boussole
qui puisse nous diriger à travers les écueils du monde. Heureux
l’homme ignoré qui coule ses jours, éloigné des cannibales
de l’Europe; je veux dire, de ces perturbateurs du repos public,
de ces àªtres inquiets, ambitieux qui ne cherchent qu’à détruire
pour s’elever, qu’à tromper un peuple qu’ils font servir à
leur attroce cupidité.
J’aime à penser entouré de tant de peines que vos jours, mon
ami, sont aussi sereins que les miens sont nébuleux. Le
bonheur d’un àªtre qui nous est cher devient un baume salutaire
à nos maux. Oui, les miens sont moins cuisants quand je
me porte en idée dans votre paisible retraite, je vous vois entouré
d’une épouse aussi tendre qu’aimable, d’ enfants sensibles et
respectueux; puis tournant mes regards sur votre portrait,
je me dis, oui, oui, ce sont la les traits du paisible bonheur!
Puisse cette félicité ne jamais vous abandonner, et puisse tout ce qui
vous entoure, en y contribuant, s’assurer aussi le bonheur!
Ne m’oubliez auprès de ma belle sÅ“ur, dites lui de ma part,
qu’aimer son époux, c’est lui porter le màªme sentiment. Dites
aussi à votre aimable famille, que je l’embrasse et suis tout à elle.
Adieu, mon ami, mon frere, ne doutez jamais de toute l’étendue
de mon attachement pour vous.
Le Cte de Beaujeu
Je vous fais passer par la màªme voie que celle de ma lettre; le
cachet que vous m’avez demandé. Je l’ai fait établir sur le màªme
modèle que le mien, et j’espère qu’il remplira vos vues, étant d’une
forme, plus propre que toute autre, à remplir le but qu’on s’en
propose[7]. Voicy les renseignemens que vous désirez sur nos
armes.
La couronne est celle de comte; en regardant de face, non pas le cachet
màªme, mais l’empreinte;
voyez, de l’angle à droite, allant diagonalement à celui de gauche
nos armes repettées deux fois. Elles se composent de deux tàªtes
d’aigles, arrachées; d’un chevron brisé, renfermant une tàªte de
léopard; le tout sur un fond d’or, marqué par le pointillé
qui rempli le fond de l’ecusson.
Voyez maintenant, de l’angle à gauche, allant diagonalement
à l’angle à droite ( toujours regardant l’empreinte ) les armes des
Longueuà¯l, qui se trouvent écartellées avec les nà´tres, et par conséquent
répettées deux fois; elles se composent de trois roses, sur un fond d’argent,
car un ecusson qui n’est marqué d’aucune ciselure, prouve le métal en
question.
J’ai oublié de vous dire, que le chevron brisé qui se trouve dans nos
propres armes; est de gueules, c'est-à -dire de couleur rouge; les
lignes transversales dont il est rempli, sont dans la gravure, la
marque de cette couleur.
P03/A.258, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le