Franà§ois-Charles écrit de Rouen, en Normandie, à son oncle maternel Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil habitant au Canada. Il lui confirme réception de sa lettre lui annonà§ant le décès de son père. Il se plaint de ne pas encore avoir obtenu son amnistie alors qu'il est rentré depuis sept mois en France. Il apprend à son oncle la mort du fils de monsieur Lignery, décédé à la Martinique, et lui confirme qu’il n’a pas l’intention de se rendre à St-Domingue.
Organisation sociale, réalités politiques, maladies
Rouen ce 17 mars
[Répondu le 12 octobre 1803][1]
Mon cher oncle
J’ai reà§u la lettre dans laquelle vous m’annonciez la
mort de mon malheureux père[2]. Je n’ai jamais éprouvé
une perte plus cruelle pour mon cÅ“ur; qu’il m’eut été
consolant de pouvoir le serrer dans mes bras avant cette
séparation éternelle! Mais tel devoit àªtre mon sort,
ne suis je pas réservé aux peines les plus cuisantes?
Oui, mon cher oncle, je suis toujours aussi
malheureux, je n’ai pu depuis sept mois que je suis
rentré dans ma patrie, obtenir mon amnistie,
formalité sans la quelle je ne puis vaquer à mes
affaires[3]; je ne perds cependant pas courage on me
la fait espérer de jour en jour et j’attends ce moment
avec la plus grande impatience.
Lignery[4] parent de Mme Foucault[5] et le notre par conséquent,
m’a mandé il y a deux jours, que cette malheureuse
mère, venoit d’apprendre la mort de son fils décédé à
La Martinique[6]. C’est le seul enfant qu’elle ait, jugez
de sa profonde douleur. Je ne sais si je me suis
mal expliqué dans la lettre o๠je vous mandois
mon départ pour France, mais jamais je n’ai eu
l’intention de vous faire entendre que mon projet etoit
d’aller à St Domingue, comme vous l’avez mandé à ma
cousine Foucault[7]. Non, assurément, mon cher oncle,
je n’irai point dans un paà¯s qui toujours est en proie
aux fléaux de la guerre et de la peste[8]. D’ailleurs
je ne suis pas de ces pères qui ne connoissent de
bonheur pour leurs enfans, qu’une immense fortune.
Le mien doit àªtre heureux daprès les principes que je
lui ai inculqués, si la providence lui conserve une
honnàªte aisance. Un autre motif bien plus puissant
encore, c’est que je n’abandonnerai jamais mon fils
qu’il ne soit en à¢ge de se conduire seul, et qu’en
prenant le parti que vous pensiez que je prendrois
qu’il faudroit ou l’abandonner, ou le conduire avec moi
à une mort certaine.
Que je vous rends de graces, mon cher oncle, d’avoir retiré
ma tendre mere auprès de vous. Votre amitié, votre
société, sont bien faites pour alléger les peines qu’elle
éprouve. Oui, le meilleur des oncles, vous avez toujours
été notre second père, soyez le en chef actuellement,
que de titres vous avez à notre respectueuse tendresse!
Combien mon cÅ“ur est sensible a toutes vos bontés, se
complait a vous donner ce nom!
J’attends de vos nouvelles avec la plus grande impatience.
Qu’ils vont àªtre longs les momens qui vont s’écouler
avant que je sois rassuré sur la santé d’une famille
qui m’est si chère! Tous mes vÅ“ux sont formés pour
sa félicité. Voila les sentimens que je vous dois, que
j’éprouve, et que je ne cesserai de ressentir jusqu'a la
fin de mes jours.
Je suis avec respect
Mon très cher oncle,
Votre très humble & très
obéissant serviteur et neveu
De Beaujeu.
P.S.
Je suis toujours on ne peut plus contant de
mon Amedée. Il a le caractère le plus honnàªte
et le plus doux possible. Et l’on voit rarement un
enfant de son à¢ge aussi assidu à tous ses
devoirs.
P03/A.238, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le