Franà§ois-Charles écrit de Londres à son oncle maternel Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil, habitant au Canada. Il le remercie pour les 200 livres qu’il lui a envoyées l’année précédente. Il espère obtenir des subsides sur ses biens à St-Domingue, car depuis deux mois la France a envoyé des troupes dans cette à®le et la paix vient d’àªtre signée avec l’Angleterre. Après les politesses d’usage, Franà§ois-Charles mentionne l'état dans lequel se trouve ses deux soeurs.
Activités économiques, organisation sociale, réalités politiques
Londres ce 1r. avril 1802.
Mon cher oncle.
J’ai reà§u avec autant de reconnoissance que de plaisir
les deux cents livres que vous m’avez envoyées l’année
derniere[1]. Si vos prémiers bienfaits ne m’avoient pas
déjà convaincu de votre amitié, ainsi que de la
générosité de votre cÅ“ur; ce dernier secours que,
la seule confiance que toujours vous m’inspirà¢tes,
m’a porté à vous demander; seroit plus que
suffisant pour me donner la plus haute idée de
votre bonté, ainsi que de la délicatesse de vos
sentimens. Oui, mon cher oncle, je puis dire
que personne n’est plus fait que moi, pour sentir
tout le prix d’un procédé aussi généreux et d’autant
plus grand, que je ne suis pas le seul de ma
malheureuse famille, qui ait a marquer du
sceau de la plus entiere reconnoissance, les bienfaits
du plus respectable des parens.
J’ai déposé chez Mr. Brickwood la somme en question
jusqu’au moment de mon départ; les préliminaires
de la paix qui furent signés à cette époque retardèrent
mon voyage, voulant voir plus clair dans mes
démarches. La paix vient enfin d’àªtre conclue[2], mais
les Francois qui depuis deux mois ont envoyé des
troupes à St. Domingue pour s’en rendre maitres,
et les bonnes nouvelles que nous devons attendre d’une
telle démarche, retarderont encore ( jusqu'a nouvel ordre )
mes projets de départ. Si tout réussit, comme il y a
lieu de l’espérer, vous sentez alors que je serai
plus autorisé que jamais a faire valoir les droits
de mon fils, qui, selon les loix n’est pas regardé
comme émigré[3]. Enfin je remets tout entre les
mains de la providence, et si, contre toute espérance,
je ne réussissois pas, j’aurois dumoins la
consolation d’avoir fait ce que je devois faire pour
mon fils.
Oui, c’est un vrai bonheur pour moi, le plus
aimé des oncles, de penser que vous jouissez d’une
santé parfaite, et si mes vÅ“ux sont de quelque
prix auprès de l’ordonnateur de toutes choses,
votre félicité, sans doute, sera aussi inaltérable,
que les sentimens d’amitié, de reconnoissance, de
respect que je vous ai voués pour le reste de
mes jours.
J’ai l’honneur d’àªtre
Mon très cher oncle
Votre très humble & très
obéissant neveu
De Beaujeu.
P.S.
Je ne parle point à mon pere de
l’évàªnement de ma pauvre sÅ“ur[4]. Je la regarde
comme la victime d’une éducation peu soignée suite
inséparable de la misère o๠mes malheureux
parens ont été plongés. Cette nouvelle, je vous assure
m’afflige encore cruellement. Qu’il est dur de retirer
son amitié à un àªtre que j’avois tant de plaisir a
aimer! Mais non, je le sens trop, elle est ma sœur,
c’est dire assez que ses droits sont assurés sur
mon cÅ“ur, et je ne puis que porter tout mon mépris, sur l’àªtre
vil qui l’a séduite. J’aurois crà» cependant
que le malheureux éxemple de la pauvre Beaujette[5],
auroit dà» faire éviter à celle cy le précipice o๠la
prémière s’étoit plongée. Mais jeune sans expérience,
et surtout livrée a elle màªme, mon père et ma
mère, ne devoient ils pas craindre un pareil
évàªnement? Je me tais, et je soupire.
P03/A.231, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le