1 avril 1801 : Lettre de Franà§ois-Charles à  Joseph-Dominique-Emmanuel

Résumé de la lettre

Franà§ois-Charles écrit de Londres à  son oncle Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil habitant au Canada. Il lui envoie ses condoléances pour la mort de sa femme, Louise Prud’homme, et s’étonne qu’il n’ait pas reà§u sa lettre de 1800. Ensuite, il lui détaille son projet de retourner en France pour tenter de récupérer les biens de son fils à  St-Domingue. Il a donc besoin d’argent et lui demande son aide.

Mots clés

Activités économiques, organisation sociale, réalités politiques

Transcription


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Lettre du 1 avril 1801, page 1

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Londres ce 1r. avril 1801

Mon très cher oncle

Je suis très étonné que vous n’ayez pas reà§u mes
lettres du premier avril de l’année derniere les
ayant données cependant à  Mr Brickwood pour
vous les faire passer[1]. Vous y auriez là», mon cher
oncle, combien je partageois les peines que vous
avez éprouvées, non seulement de la perte d’une
épouse[2] qui vous étoit chère; mais encore de l’ingratitude
attroce d’un beau-fils[3], qui à  tous égards vous devoit
la plus entiere reconnoissance[4]. Enfin il faut
souvent plier le dos aux circonstances, je trouve
que vous avez parfaitement fait d’avoir mis tous
les procédés de votre coté, car si on n’a tenu
cette conduite ( comme il est à  croire ) que daprès de
mauvais conseils, on doit tà´t ou tard, en éprouver des
regrèts cuisants.

Pour moi, mon cher oncle, les années s’écoulent
sans apporter aucun changement à  mes peines.
Les uns croyent à  la paix, d’autres à  la guerre, on
ne sait encore à  quels sentimens s’arràªter. Tout
est à  un prix fou dans ce paà¯s cy, c’est en vain


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Lettre du 1 avril 1801, page 2

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que je cherche à  mettre la plus grande oeconomie
dans ma manière de vivre; mon fils qui n’est plus
un enfant, me coà»te plus que moi màªme, et je ne
prévois qu’un avenir affreux si je persiste plus
longtems à  tenir pied à  boule[5]; je suis d’autant plus
déterminer à  partir pour France que je puis y
trouver des ressources. Les biens de St Domingue
n’ayant pas été vendus comme l’ont été la plupart
des biens de France, je conclus daprès cela, que si
la paix se faisoit, cette colonie pouvant revenir
aux Francois, puisqu’elle n’appartient dans ce moment
cy, quâ€™à  un négre qui s’en est rendu maitre[6], je
pourrois dis-je ainsi que font aujourd’huy les
emigrés dont les possessions de France n’ont pas été
vendues, reclamer celles qui m’appartiennent dans les
colonies, alors quelque devastées qu’elles puissent àªtre,
je verrois aumoins mon fils à  l’abri de la prémière
misère, une autre raison aussi puissante encore
m’y engage, c’est une reprise de trente mille livres
que je pourrois y faire sur une terre d’une tante
de ma femme[7]. Mais la maladie qui m’oblige a
fuir cet endroit cy, me poursuivra sans doute pour
les prémiers momens, dans le paà¯s o๠je veux
me rendre[8]. Comment sans un sol faire un tel


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Lettre du 1 avril 1801, page 3

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voyage? Et màªme le voyage fait, le moyen d’y éxister
en attendant que mes affaires soient arrangées?
C’est donc à  vous, mon cher oncle, que s’adressent ces
paroles, point d’argent. Car quels sont les parens,
les amis, les moyens que je puis employer à  cet éffet?
Vous seul, oui, vous seul àªtes tout pour moi, de vous
seul peut dépendre mon sort et celui de mon fils,
si vous voulez faire un éffort pour me mettre à 
màªme de recueillir quelques débris de notre ancienne
fortune. C’est avec la confiance que donne une entiére
amitié, que j’ose m’adresser à  vous pour suivre mon
projet. Non, je ne puis croire, que la demande que
la demande
que je vais vous faire soit trop
éxagérée. Deux cents guinées sont une somme, il est vrai,
mais veuillez me suivre dans mes réflexions. Primo,
un voyage très coà»teux dans un moment comme ce
lui cy; segondo, ne faut il pas arrivant dans un
paà¯s qui m’est actuellement inconnu[9]; avoir devant moi
une somme, qui, à  tout évàªnement, puisse nous faire
éxister deux ans, mon fils et moi? Tertio, le chapitre
des incidens qui sont incalculables surtout dans
le sciécle o๠nous vivons. C’est toutes ces raisons
réunies, qui m’engagent à  vous demander une telle
somme, sans laquelle ce seroit folie à  moi, de
rien entreprendre. Dailleurs, mon cher oncle,


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Lettre du 1 avril 1801, page 4

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je vous en fais la simple proposition. Je dois
déjà  tant à  vos bontés, qu’il ne faut pas moins
qu’une circonstance comme celle cy, pour me décider
à  vous la faire. Mais cependant tout me rassure, n’est-ce
pas à  un ami, à  un oncle qui m’a toujours aimé que
je m’adresse, n’est ce pas aussi la tendresse paternelle
qui dicte ma demande?

Toutes ces réfléxions se trouvent combattues par mon
cÅ“ur; j’entends votre amitié, celle de mes autres parens,
me dire, abandonne tout, viens te réunir à  une famille qui
t’est chère. Oui, assurément elle me l’est à  tous les titres, mais
ce sort cruel qui toujours a mis un obstacle a cette félicité
si douce pour mon cœur; n’est ce pas lui qui s’oppose
encore en ce moment, à  mes plus chères inclinations?
Ah! comme je vous l’ai déjà  dit, dans plusieurs de
mes lettres; si j’étois seul, aurois je un moment à  balancer?
Puis je donc disposer de l’éxistence de mon fils? Ne dois je
pas tout employer pour le mettre à  couvert de la trop horrible
mendicité? Il lui reste, hélas! peut àªtre ce chimérique
espoir! Mais que sais-je? N’aurois je pas à  me reprocher,
s’il venoit a se réaliser pour d’autres personnes, de l’avoir
négligé pour mon fils?

Enfin voilà  mes refléxions, voilà  mes peines. puissent-elles
loin de m’attirer vos reproches, vous portez à  me plaindre
et ne vous faire voir en moi qu’une malheureuse victime de
mon étoile.

Je vous désire du plus profond de mon à¢me, santé, bonheur,
et vous prie de croire à  l’attachement, ainsi qu’a la
reconnoissance sans borne avec lesquels je suis

Mon cher oncle,

Votre très humble obéissant serviteur et neveu

De Beaujeu.


P03/A.227, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le

Notes

  1. Aucune lettre datée du 1 avril 1800 ne se trouve dans le fonds De Beaujeu.
  2. Louise Prud'homme est décédée le 23 novembre 1798. Voir sa biographie. Lire aussi la lettre du 20 juillet 1799 envoyée par JDE à  FC o๠il lui annonce ce décès.
  3. Son beau-fils se nomme Pierre-Amable de Bonne, né le 25 novembre 1758, du premier mariage de Louise Prud'homme avec Louis de Bonne de Missègle.
  4. Pierre-Amable de Bonne avait 11 ans lors du mariage de sa mère avec JDE. Celui-ci s'en est donc occupé comme de son propre fils.
  5. Tenir ferme, sans reculer.
  6. Il s’agit de Toussaint Louverture, né Franà§ois-Dominique Toussaint, le 20 mai 1746 à  St-Domingue et mort le 7 avril 1803 au Fort de Joux, à  La Cluse-et-Mijoux en France. Il est le plus grand dirigeant de la révolution haà¯tienne. Devenu gouverneur de St-Domingue (actuelle Haà¯ti), il est reconnu pour avoir été le premier chef Noir à  avoir vaincu les forces d'un empire colonial européen dans son propre pays. Né esclave, s'étant démarqué en armes et ayant mené une lutte victorieuse pour la libération des esclaves haà¯tiens, il reste une figure historique d'importance dans le mouvement d'émancipation des Noirs en Amérique.
  7. Nos recherches ne nous ont pas permis de trouver de quelle tante il s'agit. La femme de Franà§ois-Charles était Élisabeth de Bongars. Voir la biographie de Franà§ois-Charles
  8. Franà§ois-Charles désire retourner en France.
  9. Avec tous les bouleversements que la France a vécus, il est normal que ce pays soit devenu inconnu aux yeux de Franà§ois-Charles qui a émigré après avril 1790 en Angleterre.
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