Franà§ois-Charles écrit du faubourg St-Honoré à Paris, à son oncle maternel Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil, habitant au Canada. Franà§ois-Charles s’inquiète de ne recevoir aucune nouvelle du Canada. Il annonce à son oncle qu’il s’est finalement marié et qu’il a un garà§on de vingt mois et une fille à¢gée de deux ans et demi. Franà§ois-Charles assiste, impuissant, aux conséquences de la Révolution franà§aise.
Organisation sociale, activités militaires, réalités politiques
Paris ce 27 avril rue de la Pépinière
faubourg St Honoré[1].
Point de nouvelles de vous, mon cher oncle, pas
màªme une seule du Canada? Cependant tous les
ans j’écris; et toujours infructueusement[2]. Je ne
sais quand le mauvais sort cessera d’en vouloir
à mes lettres? Mais je le lasserai, et ma
constance sera peut àªtre récompensée.
Je ne puis pas imaginer, mon cher oncle, que
vous ignoriez mon mariage[3]. Je vous l’ai mandé
dans trois de mes lettres[4]. Enfin je vous en
fait part encore, il est bien consommé, car
j’ai deux enfans, garà§on et fille, mon fils
a vingt mois, et sa sœur, deux et demi[5], ils
sont bien portans et d’une fort jolie figure.
Vous savez, sans doute, mon cher oncle, les
troubles qui regnent dans notre pauvre France[6]?
Tout notre royaume est boulversé, et sapé
jusque dans ses fondemens. Sous le
manteau de la liberté, on a commis tous
les crimes les plus atroces, enfreint les
lois les plus sacrées et nous vivons dans
l’anarchie la plus grande.
Notre assemblée nationnalle vient de décreter
que tous les biens du clergé seroient vendus
au profit de l’Etat et que l’on donneroit une
pension a chacun, selon le grade qu’il occuppe
dans l’Eglise; le noble est de màªme proscrit, tous
les droits seigneuriaux abolis, chaque cytoyen
payera le quart de son revenu, et l’on met en
outre des impots sur les voitures, domestiques
et màªme sur les croisées des maisons[7].
Vous voyez, mon cher oncle, l’etat affreux auquel
nous sommes réduits. Il y a eu une défection
générale dans les troupes et notre armée, n’est
plus que l’ombre de l’ancienne[8]. Enfin je ne
puis qu’applaudire au bonheur que vous avez
d’habiter un paà¯s tranquille[9], et de n’avoir pas
été comme moi témoin, des scènes tragiques
et des monstruosités qui se sont passées à Paris
depuis six mois.
Le Roy n’habite plus Versailles; il habite
actuellement le chà¢teau des Tuilleries[10] oà¹
plutot il a l’air d’un prisonnier que d’un
Roy. Je me tais, et je gémis comme tous
bons Franà§ois.
Je me plais à penser, mon cher oncle, que
votre santé est bonne, conservez la longtems
de màªme, je fais le màªme vÅ“u pour ma tante,
et ma femme se joint à moi, pour vous
assurer l’un et l’autre de notre parfait
attachement.
de Beaujeu.
P03/A.212, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le