27 avril 1790 : Lettre de Franà§ois-Charles à  Joseph-Dominique-Emmanuel

Résumé de la lettre

Franà§ois-Charles écrit du faubourg St-Honoré à  Paris, à  son oncle maternel Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil, habitant au Canada. Franà§ois-Charles s’inquiète de ne recevoir aucune nouvelle du Canada. Il annonce à  son oncle qu’il s’est finalement marié et qu’il a un garà§on de vingt mois et une fille à¢gée de deux ans et demi. Franà§ois-Charles assiste, impuissant, aux conséquences de la Révolution franà§aise.

Mots clés

Organisation sociale, activités militaires, réalités politiques

Transcription


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Lettre du 27 avril 1790, page 1

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Paris ce 27 avril rue de la Pépinière
faubourg St Honoré[1].

Point de nouvelles de vous, mon cher oncle, pas
màªme une seule du Canada? Cependant tous les
ans j’écris; et toujours infructueusement[2]. Je ne
sais quand le mauvais sort cessera d’en vouloir
à  mes lettres? Mais je le lasserai, et ma
constance sera peut àªtre récompensée.

Je ne puis pas imaginer, mon cher oncle, que
vous ignoriez mon mariage[3]. Je vous l’ai mandé
dans trois de mes lettres[4]. Enfin je vous en
fait part encore, il est bien consommé, car
j’ai deux enfans, garà§on et fille, mon fils
a vingt mois, et sa sœur, deux et demi[5], ils
sont bien portans et d’une fort jolie figure.


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Lettre du 27 avril 1790, page 2

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Vous savez, sans doute, mon cher oncle, les
troubles qui regnent dans notre pauvre France[6]?
Tout notre royaume est boulversé, et sapé
jusque dans ses fondemens. Sous le
manteau de la liberté, on a commis tous
les crimes les plus atroces, enfreint les
lois les plus sacrées et nous vivons dans
l’anarchie la plus grande.

Notre assemblée nationnalle vient de décreter
que tous les biens du clergé seroient vendus
au profit de l’Etat et que l’on donneroit une
pension a chacun, selon le grade qu’il occuppe
dans l’Eglise; le noble est de màªme proscrit, tous
les droits seigneuriaux abolis, chaque cytoyen
payera le quart de son revenu, et l’on met en
outre des impots sur les voitures, domestiques


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Lettre du 27 avril 1790, page 3

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et màªme sur les croisées des maisons[7].

Vous voyez, mon cher oncle, l’etat affreux auquel
nous sommes réduits. Il y a eu une défection
générale dans les troupes et notre armée, n’est
plus que l’ombre de l’ancienne[8]. Enfin je ne
puis qu’applaudire au bonheur que vous avez
d’habiter un paà¯s tranquille[9], et de n’avoir pas
été comme moi témoin, des scènes tragiques
et des monstruosités qui se sont passées à  Paris
depuis six mois.

Le Roy n’habite plus Versailles; il habite
actuellement le chà¢teau des Tuilleries[10] oà¹
plutot il a l’air d’un prisonnier que d’un
Roy. Je me tais, et je gémis comme tous
bons Franà§ois.

Je me plais à  penser, mon cher oncle, que
votre santé est bonne, conservez la longtems
de màªme, je fais le màªme vÅ“u pour ma tante,


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Lettre du 27 avril 1790, page 4

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et ma femme se joint à  moi, pour vous
assurer l’un et l’autre de notre parfait
attachement.

de Beaujeu.


P03/A.212, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le

Notes

  1. La rue de la Pépinière est située dans le 8e arrondissement à  Paris. Elle prend naissance rue de Rome, et au 139 rue St-Lazare, pour se terminer place St-Augustin. à€ l’époque de Franà§ois-Charles, on y retrouvait la caserne de la Pépinière, construite en 1763 par Claude-Martin Goupy afin de servir de casernement aux Gardes-Franà§aises, un corps d'élite rattaché à  la maison militaire du roi.
  2. On sait pourtant que JDE lui avait écrit en date du 6 mars 1786, ainsi qu'en date du 15 octobre 1783. Cette dernière missive, que Franà§ois-Charles n’a peut-àªtre jamais reà§ue, nous l'avons trouvée dans le fonds Pointard aux archives nationales de France. La rupture partielle des communications entre la France et son ancienne colonie témoigne des difficultés à  établir un contact continu entre les deux communautés.
  3. Franà§ois-Charles s'est marié le 13 novembre 1787 à  Morigny-Champigny, St-Germain-lès-Etampes, avec Élisabeth de Bongars. Pour plus de détails, voir la biographie de Franà§ois-Charles
  4. Franà§ois-Charles semble avoir écrit trois lettres, qui n'ont jamais été reà§ues, à  JDE entre celle du 10 avril 1786 et la présente.
  5. Son fils s’appelle Amédée, mais nous ignorons le nom de sa fille.
  6. Franà§ois-Charles fait référence ici aux changements politiques engendrés par la Révolution franà§aise, puisqu’en 1789, Louis XVI est devenu de facto un monarque constitutionnel.
  7. L’impà´t sur les portes et fenàªtres deviendra permanent le 24 novembre 1798 et ne sera supprimé qu’en 1926.
  8. L’Assemblée de la nouvelle république essaie de réorganiser l’armée. Le 9 février 1790, elle réglemente les grades des militaires, désormais indépendants des titres nobiliaires et du bon plaisir de la cour.
  9. En 1790, au Canada, la situation est plutà´t calme. Les autorités coloniales procèdent à  un recensement dans lequel on apprend quâ€™à  Vaudreuil la population était de 1579 à¢mes; Soulanges en comptait 971 et l’à®le Perrot 586.
  10. Le 6 octobre 1789, la famille royale s’installait aux Tuileries. Après une tentative d’évasion, les membres de la famille royale furent ramenés de force du chà¢teau de Versailles par les émeutiers. Durant les trois années o๠la famille royale habita les Tuileries, elle s’y sentit mal à  l’aise. Retenus contre leur gré, le roi, la reine, accompagnés du dauphin, de madame royale, et de leur suite, tenteront en vain de fuir le palais.
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