Cette première lettre rédigée à Paris par Franà§ois-Charles de Beaujeu, est envoyée à son oncle maternel Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil, seigneur de Soulanges et de Nouvelle-Longueuil, qui habite au Canada. Franà§ois-Charles lui annonce qu’il a rencontré Doutreleau, son chargé d’affaires en France, lequel lui a avancé de l’argent et donné la montre de Paul-Joseph Le Moyne de Longueuil, son grand-père. Franà§ois-Charles vient de faire trois campagnes militaires et a été présenté au roi Louis XVI par le ministre M. de Vergennes. La lettre se termine par une note de son cousin Louis Le Gardeur de Repentigny qui est en France.
Activités militaires, activités économiques
Paris 2 xbre 1782
Mon très cher oncle
Madame de Germain[1] m’a rassuré sur votre faà§on de penser a
mon égard, je vous avoà¼e, que j’ai crains jusqu'a ce moment cy, que vous
n’eussiez totalement oublié un neveu, pour lequel cependant vous aviez
eu des bontés infinies. Si je vous eusse moins connà», votre silence
m’eut été bien moins mal; mais, après la tendre amitié que j’avois,
et que mon cÅ“ur a toujours conservé pour vous, il devoit àªtre une
de mes peines la plus cuisante.
Je suis au comble de ma joie qu’une campagne que je viens de
faire[2] ; m’ait procuré la douce satisfaction d’apprendre de vos
nouvelles; Mr Dutreaulot[3] m’a dit, que vous vouliez bien m’accorder
votre amitié; Si votre neveu, mon cher oncle, est assez heureux, pour
jouir d’un aussi grand bonheur, non, il n’a plus rien a desirer.
J’ai été choisi a la suite de l’expédition, dont je viens de vous
parler ( Dans laquelle j’etois aide major général ) pour àªtre
porteur au Ministre des dépàªches rélatives a la réussite
de notre expédition. Mr de Castries Ministre de la marine[4],
m’a reà§à» avec toute la bonté possible, et m’a présenté au Roy[5]
le soir màªme de mon arrivée. Mr de Vergennes Ministre des
affaires étrangères[6] ( dont le fils épousé une de mes cousines
germaines Mademoiselle de Sédières )[7] me présentat aussi a sa
majesté comme son parent. Toutes mes protections prénnent
le plus vif interàªt a mon sort, j’ose espérer que tout cecy, me
mettra a màªme de me montrer, et de me faire connoitre.
J’ai fait trois campagnes dans lesquelles je puis dire,
avoir mérité des nottes avantageuses de mes chefs[2]; aussi
Mr de Castries me dit-il lorsque je lui fus présenté.
On ma dit infiniment de bien de vous, vous pouvez àªtre
tranquile, je ne vous oublierez certainement pas.
J’ai eu l’honneur ( comme je vous l’ai dit cy dessus ) de voir
, qui m’a reà§à», avec toute l’amitié qu’il a
pour vous. La bonté avec laquelle il m’a parlé; m’a engagé
a lui faire part, de ma situation, et lui avouer que je me
trouvois dans le plus pràªssant besoin. Il a bien voulà» y
compà¢tir, et me faire une avance de douze louis[8] malgré qu’il
n’ait point d’ordre de votre part. Les preuves généreuses
d’amitié, que vous donnez a mes frères[9], et celles que j’ai reà§à»
de vous, me sont de surs garants, que vous ne désaprouverez
pas ce que Mr Dutreauleau vient de faire pour moi.
( Il m’a donné aussi la montre de mon grand pere.)[10]
Permettez que je vous en fasse mes sinceres remerciemens,
et vous assure de la vive reconnoissance que je vous ai, et vous
aurai toute ma vie, de vos bienfaits pour nous.
Je désirerois de toute mon ame, voir ma très chere tante[11] que
j’aime et respecte on ne peut d’avantage. Serois-je vous prier
de lui présenter mes hommages très respectueux, et de
l’engager a me permettre de lui écrire a la première occasion.
Daignez le plus aimé des oncles me donner
de vos nouvelles, rien au monde je vous assure ne me sera
plus flatteur; j’attends cette grace avec la plus vive
impatience, et vous supplie de croire au tendre, et
respectueux attachement avec lequel je suis
Mon très cher oncle
Votre très humble et très
obéissant soumis neveu
Le Cte[12] de Beaujeu
P.S.
Mon cousin Repentigny le pere[13] me
charge de vous dire mille choses
agréables. Son fils[14] vient de faire a la
Guadeloupe, un mariage immensément riche,
son épouse[15] est charmante et pétrie de talent.
Je suis mon cher Longeuà¯l on ne peut plus content de votre
neveu. Le voila en bonne position pour aller mais les
moiens luy manquent pour se remuer. Les appointements
sont modique. J’attends icy le poste de marechal de camp[16]
pour retourner a l’Amerique. Je suis revenu en France
pour raison de santé. Nous touchons a la paix
respects et hommages pour Mme la Bne de Longeuà¯l[17] amitié
tendre pour son fils et sa chere moitié[18].
P03/A.207, Fonds De Beaujeu, Centre d'histoire La Presqu'à®le
Franà§ois-Charles revient de l'expédition de la baie d'Hudson, commandée par Jean-Franà§ois de Galaup de Lapérouse, dont l’objectif était de détruire par surprise les forts anglais Prince de Galles et York. Il s’agit de l’une des trois campagnes dont il est fait mention plus bas dans la présente lettre. Sur Lapérouse, voir le dictionnaire biographique du Canada.
Selon Gilbert Bodinier, Dictionnaire des officiers de l’armée royale qui ont combattu aux États-Unis pendant la guerre d’indépendance 1776-1783, 2004, p. 317-18, Franà§ois-Charles était sous-lieutenant au Cap en 1775; capitaine des corps des chasseurs volontaires de St-Domingue le 12 juillet 1779, il a participé au siège de Savannah à l’automne de 1779 avec ce régiment; il était lieutenant au régiment du Cap le 31 mars 1780. La seule campagne de FC pour laquelle nous avons des sources sà»res, est celle accomplie sous le commandement de Lapérouse à la baie d’Hudson, de mai à octobre 1782. Nous ignorons s’il a participé à la bataille de Yorktown en septembre et octobre 1781; entre 1778 et 1782, il a probablement participé à d’autres campagnes militaires.
Franà§ois Daniel, peu fiable, indique dans son Histoire des grandes familles franà§aises du Canada, 1867, p. 329, que Franà§ois-Charles a participé sous les ordres de Lapérouse à la prise de la frégate anglaise Ariel. Mais comme la frégate Ariel est capturée le 10 septembre 1779 par Lapérouse qui commandait l’Amazone, il est plus probable que FC devait àªtre, à titre de capitaine, sur le point de débarquer à Savannah à la tàªte des chasseurs volontaires de St-Domingue. Les preuves documentaires manquent donc pour affirmer que FC était sur l’Amazone de Lapérouse lors de la prise de l’Ariel.
Le vicomte de Léry, Rapport de l’archiviste de la province de Québec pour 1933-1934, p. 32, écrit à sa mère le 27 mars 1783 en réponse à une lettre du 25 juillet 1782 : Beaujeu est placé à St-Domingue dans le régiment du Cap, Mr de Bellecombe [gouverneur de St-Domingue] l’aime beaucoup, c’est par ce moyen et à la recommandation de Mr de Vergennes, ministre des affaires étrangères, qu’il a été nommé major général de l’expédition qui a eu lieu dans la Baie d’Hudson ; il étoit à Paris au mois d’octobre dernier et devoit bientà´t se rendre à St-Domingue ; je sà§ai qu’il est fort dérangé et que Repentigni lui a été deux fois d’un grand secours.
Nous sommes donc mieux renseignés sur la campagne de la baie d’Hudson.
Diverses sources nous apprennent que Franà§ois-Charles s’était embarqué comme lieutenant et aide-major sur l’Astrée commandée par Paul Antoine Fleuriot de Langle. Étaient aussi de l’expédition André Charles de la Jaille sur l’Engageante et Lapérouse, qui commandait le Sceptre. Sur cette expédition à la baie d’Hudson, on consultera avec profit le récit de Pierre-Bruno-Jean de La Monneraye, paru dans le Bulletin de la société de géographie, 1888, p. 268-283 et la Revue du Dauphiné et du Vivarais, Tome 3, 1879, p. 507-524. Aucune de ces deux sources ne mentionne que FC ait agi comme ingénieur ou comme topographe à cette occasion. Signalons cependant que La Monneraye parle d’un jeune officier au régiment du Cap, et qu’il lui aurait demandé au cours du voyage au sujet des femmes de la région qui étaient tatouées et sentaient l’huile de baleine : Eh bien ! Que dites-vous de cette moitié de l’espèce sauvage ? – Qu’elles feraient fuir le diable, répondit-il.
On apprend aussi qu’à la fin de l’expédition, Fleuriot de Langle partit vers Brest pour ensuite aller annoncer la prise des forts au ministre.
Dans l’article de la Revue du Dauphiné et du Vivarais, le major Rostaing du régiment d’Armagnac, signale la présence de Franà§ois-Charles à titre de lieutenant remplissant des fonctions d’aide-major avec un dénommé Lavalette. Il mentionne de plus que de Beaujeu fut envoyé pour négocier les articles de la capitulation avec Samuel Hearne, le gouverneur du fort Prince de Galles. Dans son rapport au ministre de Castries, Rostaing recommande des bontés en faveur de Beaujeu, chargé de mes dépàªches, qui a servi pendant le cours de cette campagne avec distinction.